L’intérêt financier est mauvais conseillé et le maire de cet archipel a tort d’écouter sa petite musique de cupidité et de mensonges. Toutes les excuses sont bonnes pour ne pas entendre la voix de la raison qu’essaye pourtant de faire résonner l’instituteur scandalisé. Ce pauvre homme paiera pour sa pugnacité. Contre la volonté d’homme politique du maire, la veulerie du docteur, l’indifférence de la vieille, la soumission des employés et la souillure de la petite fille, l’honnête homme est perdant et rien n’y fera, le malheur s’abattra sur cette terre de consanguinité.

Lorsqu’on veut abattre son chien, on l’accuse d’avoir la rage.
Les antiques recettes ont fait leurs preuves et fonctionnent en tout temps. Il suffit de les mettre au goût du jour. Que l’instituteur fût innocent ou non de ce dont on l’accusait n’était pas le principal problème. Le principal problème était qu’on l’accusait. En quelque sorte, et quelle que soit l’issue de l’affaire, le mal était fait. Il resterait et rien ne pourrait le laver.
Si l’accusation était restée secrète, elle n’aurait eu que peu d’effet, mais quand le lundi matin, après avoir quitté leurs maisons, les enfants y revinrent quelques minutes plus tard en disant que l’école était fermée et que le maître n’était pas là, les adultes s’interrogèrent. Certaines mères allèrent frapper à sa porte. Personne ne leur répondit. Et puis la nouvelle se propagea, d’on ne sait où, sortie de quelque bouche, que l’instituteur avait violé la petite de Fourrure.
Alors on courut chez Fourrure, en nombre cette fois, des mères affolées qui serraient leur enfant contre leur flanc. Lorsque Mila sortit devant la maison, certains dirent comme une petite nonne ou une sainte, droite et paisible, noble et distante, d’une voix douce dénuée de colère, elle confirma la rumeur. Oui, l’instituteur l’avait forcée avec sa chose. L’enfant n’ajouta rien d’autre. Elle rentra chez elle. Il y eut la stupeur. Puis il y eut des cris. Une foule grossissante, de mères, et d’hommes aussi que le tapage avait alertés et à qui on apprenait la nouvelle.

L’archipel du chien Philippe Claudel

Philippe Claudel écrit dans un style ampoulé et ne dit pas n’importe quoi ce qui fait du bien, certaines phrases sont savoureuses comme :

« La soutane du curé sentait le camphre et le long célibat. »

Elles donnent par moments quelques nausées, liées à la lâcheté de l’être humain.

Cette parabole est édifiante, elle nous confond dans ce que nous sommes aptes à croire sur une simple

présomption, notre crédulité, notre capacité à nous laisser manipuler et notre tendance à condamner sans savoir.

On n’est jamais assez prudent. 😏

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