Résumé de l’épisode précédent : Suzie apprend à sa mère qu’elle a porté plainte contre son frère au comissariat pour coups et blessures et dans le même temps lui explique que c’est une fausse déclaration, son frère ne l’a pas touchée.
LA MÈRE
Qu’est-ce que j’ai fait ? Quelle erreur ai-je commise ?
D’où vient-elle ?
Je ne peux pas avoir de doutes sur sa provenance, j’étais bien là, allongée sur cette table à souffrir le martyre.
Les choses ont été difficiles dès le départ, j’aurais dû me douter que ça finirait mal.
L’obstétricien semblait inquiet, il ne disait rien, en tout cas pas à moi, mais je les voyais s’agiter autour de mon lit de torture.
J’ai toujours eu un très bon instinct, je ressens les choses, les gens, c’est pourquoi je ne comprends pas comment j’ai pu ne pas voir le malheur arriver.
J’étais là comme une grosse baleine échouée, suant sang et eau, les infirmières s’inquiétaient du monitoring, le chirurgien m’a dit plus tard que j’étais passée près de la septicémie.
J’avais trente-cinq ans, l’âge qu’elle a aujourd’hui.
J’aurais préféré être sous anesthésie générale, au moins je ne l’aurais pas vue venir, j’aurais pu dire : je ne sais pas, je n’étais pas là.
Mais non, j’étais là bien présente, mon corps ne me laissant pas de répit.
J’ai cru mourir ce jour-là.
L’amour rend aveugle, dit-on.
La maternité est son aveuglement le plus total.
La paternité aussi, Charles était en admiration devant sa fille, sa princesse.
Il lui passait tous ses caprices, je devais sans cesse rectifier derrière lui, être la méchante maman, alors que lui était tellement gentil.
Elle me le faisait payer, elle piquait de telles crises.
N’importe où, dans la rue parce qu’elle ne voulait pas aller à l’école, dans les boutiques pour un jouet refusé.
Étais-je seulement aveugle ou totalement stupide ?
Combien de fois ai-je dû me rendre à son école, collège, lycée, pour entendre comment elle avait agressé une élève, un professeur.
J’ai pris rendez-vous chez un psy qui m’a tranquillement expliqué : votre fille va très bien c’est une emmerdeuse, c’est tout, bon courage Madame.
L’imbécile, j’aurais dû l’attaquer pour non-assistance.
Je n’ai pas été clairvoyante avec ma propre enfant.
Je me suis voilé la face.
La politique de l’autruche n’est décidément pas la solution.
J’ai pensé que ce psy était un professionnel, on me l’avait chaudement recommandé.
L’imbécile c’est moi.
Tout est de ma faute, et voilà à quoi j’en suis réduite maintenant.
Immobile et muette.
La subir, est ma pénitence.
Lorsque Charles a compris son erreur, il a essayé de rectifier le tir ;
trop tard.
Il n’avait pas de patience, c’était là son plus grand défaut.
À l’époque où il lui accordait tout ce qu’elle voulait c’était facile, pas de cris, de crises de nerfs, elle me les réservait.
Du jour où il décida de sévir, leurs relations se dégradèrent très rapidement.
Il la punissait car il pensait que c’était le seul moyen de la contraindre.
Il n’était pas armé pour la combattre.
Son manque de patience lui nuisait, il s’en voulait de s’énerver, de ne pas arriver à lui faire entendre raison.
Il en souffrait terriblement.
Nos amis nous rassuraient gentiment ; c’est la pré adolescence, elle est précoce.
Ils n’osaient pas dire ce qu’ils pensaient.
Les aurions-nous écoutés ?
Nous avons cru que la situation s’arrangerait avec le temps, nous nous sommes lourdement trompés.
Mon mari est mort prématurément, il me manque.
C’était un homme bon, il n’était pas de taille face à sa fille.
Moi non plus.
J’ai cru que la naissance de Patrick la calmerait.
Elle était très excitée à l’idée d’avoir un bébé, elle l’adorait.
Il faut dire qu’il était particulièrement beau et sage, un amour.
J’ai honte de le dire, son amour pour lui m’a fait peur.
Je la trouvais trop exclusive, elle le berçait de façon maladroite.
Elle est maladroite.
J’avais peur qu’elle lui fasse du mal, pas sciemment, enfin je ne crois pas. Peut-être qu’inconsciemment j’avais compris ce que je refusais d’admettre.
En tout cas, je lui refusais ce bébé, elle m’en tient encore rigueur.
Plus elle pleurait pour l’avoir, moins j’étais décidée à lui céder.
Est-ce que j’ai été trop dure avec elle ?
Peut-être.
À cette époque son père était encore entiché d’elle, Suzie a dû interpréter cela comme de la jalousie de ma part.
Je n’étais pas jalouse de sa relation avec son père, pas du tout.
J’étais agacée qu’il soit si faible avec elle, je pensais que ce n’était pas bon pour son éducation.
Nous nous disputions souvent avec Charles à ce propos.
Plus tard lorsqu’il comprit, il me disait que j’avais eu raison, qu’il regrettait son attitude, malheureusement, il ne pouvait pas revenir en arrière.
Le pauvre s’en voulait beaucoup, il était conscient de sa responsabilité.
Nous avons fini par l’envoyer en pension, espérant qu’un autre réussirait là où nous avions échoué.
Nous avions un tel sentiment d’impuissance face à cet être perdu. Nous étions démunis, conscients que notre enfant ne trouvait pas sa voie.
Nous nous inquiétions de son avenir, car ses résultats scolaires étaient pitoyables, elle venait de louper son Brevet.
Mais cela allait au-delà.
Nous nous interrogions sur sa capacité à être heureuse, à avoir une vie de famille.
Elle n’avait pas d’amis, nous supposions qu’elle était la risée des enfants de son âge, à cause de l’ingratitude de son apparence. Le corps enseignant ayant d’autres chats à fouetter, nous supposions qu’elle ne trouvait pas de soutien auprès d’eux.
Elle considérait sans doute sa maison comme son seul refuge, mais nous l’accablions encore de nos reproches, par inquiétude.
Qu’aurait-il fallu faire ?
La pension a été notre pire idée.
D’une lâcheté sans pareil.
Elle en est revenue plus dure que jamais.
À cette époque, j’ai eu la conviction que j’avais perdu ma fille.
Après avoir eu son BAC, elle voulut qu’on l’inscrive dans une école d’art. Elle s’était entichée de dessin.
Elle ne se débrouillait pas trop mal, ce qui nous étonnait beaucoup face à sa maladresse habituelle. Nous avions pris pour habitude de lui dire qu’elle avait deux mains gauches.
Je sais, ce n’était pas très malin.
Nous l’avons inscrite dans un atelier, elle avait l’air heureuse, elle s’épanouissait.
Nous avons cru qu’elle était sauvée.
Nous ne connaissions rien de sa vie amoureuse, mais nous avons déduit de son changement d’attitude, qu’elle avait trouvé le bonheur.
Je sais maintenant qu’elle nous donnait le change.
Pour ne pas nous inquiéter ?
Ou pour qu’on lui fiche la paix ?
Elle a eu son diplôme et puis rien ensuite, pas de travail, aucune proposition.
Elle faisait quelques expositions dans des MJC minables.
Elle ne vendait rien ou si peu.
Nous avons fait jouer nos relations mais les dessins ne se vendent pas bien et elle refusait de se mettre à la peinture.
Elle considérait par je ne sais quelle vue de l’esprit, que la peinture tenait de la simple décoration, que cela dévoyait son art.
Une fois de plus nous nous sommes cognés à un mur.
Comme nous avions des difficultés grandissantes à cohabiter, nous lui avons acheté un charmant petit appartement à Bayonne.
Elle nous a tout juste remerciés, considérant sans doute que nous n’avions pas fait tout ce qui était en notre pouvoir pour l’aider dans ses démarches, pour vendre ses œuvres, comme elle les appelait.
C’était faux, nous y avons mis toute notre énergie, nous n’avions qu’un seul désir, qu’elle vive de son art, qu’elle soit indépendante surtout.
Là encore, nous avons échoué, elle est restée à notre charge.
Patrick a été exemplaire, le pauvre chéri, n’a jamais protesté. Il avait bien conscience que nous ne pouvions pas mener deux bateaux de front, il serait défavorisé, il devait bien s’en douter.
Mais il a toujours été d’un naturel généreux et aimait beaucoup sa grande sœur, il l’admirait aussi pour son intransigeance, son refus de se soumettre.
C’est nous qui nous soumettions à son bon vouloir.
Je pense que jusqu’à il y a peu, il n’en avait pas conscience, il attribuait notre générosité à l’égard de sa sœur à une volonté de notre part.
Bien sûr, nous aurions pu, dû, la laisser se débrouiller.
Peut-être avons-nous toujours su qu’elle n’y arriverait pas, ou bien est-ce de notre faute si elle n’y est jamais arrivée ?
À suivre 😉
Il est intéressant de voir le ressentit et de connaître les pensées de ma maman. Les reproches de la fille à sa famille mais là on commence à comprendre que dans sa tête la jalousie est immense mais le pire
Attendre Jeudi prochain
Et oui la jalousie a-t-elle un fondement toute la question est là 😉