Voici le huitième épisode du Manège enchanté. Dans le septième épisode Joseph explique à Alexandra comment il a escroqué son propre père et fait un enfant à sa propre soeur.
Ma mère aussi était une coriace, mais pendant que je vaquais à mes occupations, quelques années après que j’ai quitté le domicile familial, si on peut appeler ce cloaque comme ça, son commerce a commencé à péricliter
Elle voulait que son entreprise prospère, donc elle avait engagé du personnel, mais dans les périodes creuses, il fallait continuer à les payer.
Des franchises d’entreprises de nettoyage sont arrivées sur le marché, progressivement elle a perdu ses clients, Bayonne est une petite ville, la clientèle est restreinte et va au plus offrant, elle ne résista pas à la concurrence.
Elle avait atteint un âge auquel on ne se reconvertit pas, alors comme elle avait la trouille, elle n’arrivait pas à se résoudre à fermer et s’entêtait.
Lorsqu’enfin elle admit que c’était fini pour elle il était trop tard, elle devait beaucoup à ses fournisseurs et au plus gourmand d’entre eux l’URSSAF, elle fut obligée de déposer le bilan et comme elle était caution personnelle les huissiers ont débarqué chez elle, ça n’a pas trainé.
Ils lui ont tout pris, elle ne possédait déjà plus grand-chose, mais après leur passage il ne lui restait plus rien, juste son lit, une table, une chaise pour s’asseoir et de quoi survivre dans son appartement pourri. Elle n’avait pas droit au chômage vu qu’elle n’avait jamais cotisé.
Elle avait les aides pour les vieux dans son genre, c’était pas grand-chose j’aime mieux vous dire.
Je sens que vous allez me demander ce que j’ai fait pour elle.
Rien !
Je vous l’ai dit, je n’ai pas de moral, je suis un ermite, un asocial, je n’ai pas la politique des restos du cœur moi et c’était ma façon de lui rendre la monnaie de toutes ces roustes qu’elle m’avait infligées.
Et puis elle m’avait fait un sale coup lorsque j’étais dans une situation délicate avec ma fille.
Je ne suis pas charitable et je ne pardonne pas facilement, j’ai la rancune tenace et j’avais de quoi lui en vouloir croyez-moi.
Je suis honnête avec vous, ne faites pas cette tête.
Ça y est ça recommence, je vous dégoûte.
Je vous ai dit ou pas que je n’aimais pas ma mère ?
Oui, bon alors ! Il faut être cohérent dans la vie.
Je n’allais pas lui porter secours parce qu’elle s’était mal débrouillée !
C’était une grande fille, elle n’avait qu’à faire plus attention. Et puis après tout, si elle avait besoin de moi, elle n’avait qu’à m’appeler, mais ça non trop fière, pas question de plier devant son rejeton.
Bon par contre lorsqu’elle a fini par passer l’arme à gauche, j’ai payé l’enterrement.
Une fois morte la question ne se posait plus, je suis amoral, mais j’ai quelques principes, je l’ai fait incinérer. Elle avait horreur de l’idée de se faire bouffer par la racine, elle préférait que la question soit réglée rapidement, une fois pour toutes.
Vous voyez que je ne suis pas si mauvais, j’ai respecté sa volonté.
Revenons à ma dulcinée.
Nous avions pas mal de fric de côté, nos comptes en suisse étaient bien pourvus, nous avions largement de quoi nous la couler douce. Nous allions régulièrement récupérer des liquidités en passant par notre circuit.
Après notre mariage, somptueux et digne de la reine d’Angleterre, ça il n’avait pas lésiné papa-beau-papa, je commençais à m’emmerder sérieusement.
J’adorais ma fille, elle était le rayon de soleil de mes journées, je m’en occupais autant que sa mère me laissait faire, mais malheureusement pour moi et sans doute pour elle, enfin peut-être, cela ne suffisait pas à mon bonheur.
J’avais le sentiment de m’être laissé enfermer.
C’est comme une maladie ce besoin de liberté.
Je manquais d’activité, j’avais l’impression de m’encrouter, ça me rendait fou. Et même si ma femme était magnifique je n’étais pas amoureux d’elle, je l’appréciais plus que je ne l’aurais pensé, mais je ne l’aimais pas.
Mon histoire n’était pas censée être un conte de fées, ce n’était pas le scénario.
J’avais la vague sensation de m’être fait piéger.
L’arroseur arrosé.
Papa-beau-papa ne m’adressait quasiment jamais la parole, moi je m’en foutais.
Je trouvais les amis de ma femme fats et ennuyeux, bref je m’emmerdais à cent sous de l’heure ce qui devenait dangereux.
Quand je m’ennuie je fais des conneries, c’est un de mes plus grands défauts cette impossibilité de profiter d’une vie plutôt agréable pour la seule raison qu’elle n’est pas assez mouvementée.
Je m’en suis souvent voulu depuis, surtout durant ces années de prison, j’aurais pu voir ma fille grandir si j’avais su me tenir à carreau.
Certes ma relation avec papa-beau-papa n’était pas idyllique, mais après tout je ne suis ni le premier ni le dernier à ne pas vivre le grand amour avec le père de sa douce et tendre.
Oui je suis d’accord, ce n’était pas une situation tout à fait classique, mais si vous regardez bien, Emmanuelle n’en a pas vraiment souffert puisqu’elle n’a pas été mise au courant.
En tout cas c’est cette incapacité quasi pathologique à rester en place qui m’a mené ici.
Ma deuxième erreur a été d’aimer ma fille, l’amour est une chose qu’il faut éviter à tout prix.
Si j’ai un conseil à vous donner, faites gaffe, ne vous attachez à personne sinon vous êtes foutue. Vous n’êtes plus libre de vos mouvements comme si vous étiez menottée à un radiateur. Votre cerveau n’a plus au mieux, que la moitié de ses capacités. Le résultat est inévitable vous faites des erreurs et vous vous faites choper.
Ça n’a pas raté.
C’est à ça que m’a conduit la paternité, j’aimais trop ma fille, j’ai agi sur une impulsion, c’est ce qui m’a perdu.
Dans un premier temps, pour tromper mon ennui j’ai repris mes activités, pensant que ça me calmerait. Emmanuelle continuait à travailler chez papa.
Je m’étais spécialisé dans l’import-export, je refourguais de la marchandise tombée du camion, fabriquée en Chine, en Corée ou en Thaïlande. Je ne suis pas chauvin les produits étrangers ne me dérangent pas.
J’étais retourné à mes anciennes amours, le trafic simple, un acheteur, un vendeur.
Ça m’avait un peu pris la tête les transactions immobilières, je ne crachais pas dessus, le résultat avait été juteux, mais je n’avais pas tout compris et ça m’avait fait flipper.
J’aime bien contrôler.
Ma situation pouvait donc paraître assez confortable, je faisais mes petites affaires dans la journée et rentrais chez moi le soir comme n’importe quel cave.
La vie pépère quoi.
Seulement voilà, comme je vous l’ai dit moi la routine au bout d’un moment ça m’étouffe, mes idées de grandeur ont recommencé à me démanger.
Le problème c’est que la mère de ma fille ne voulait plus suivre, elle désirait un deuxième enfant, la maternité ça l’éclatait.
Moi je préférais pas.
La conception de ma fille avait été l’expression d’un désir de vengeance, le résultat était magnifique mais je n’étais pas particulièrement fier de moi. Je n’avais pas prévu d’aimer le fruit de ma colère, alors de là à recommencer non merci, je crois que je n’aurais vraiment pas assumé cet acte délibéré une seconde fois.
Et oui, je vous étonne mais entre-temps j’avais gagné en humanité, oui je sais, cela peut vous paraître absurde mais la présence de ma fille m’avait fait grandir. Comme quoi personne n’est à l’abri d’une rédemption !
Je plaisante.
Emmanuelle n’était pas le genre de personne à qui l’on disait non, quant au paternel il aurait fait n’importe quoi pour que je disparaisse de la circulation, aucun appui de son côté donc.
Elle piquait des crises de plus en plus fréquentes, sous prétexte que je ne la touchais plus. Je n’étais pas dupe, je la soupçonnais d’avoir arrêté tout moyen de contraception.
Je vais vous donner un deuxième conseil, vous ne serez pas venue pour rien aujourd’hui, face à l’adversité il faut toujours garder son sang-froid, c’est le seul moyen de rester maitre de la situation, mais moi j’étais plutôt du genre spontané vous voyez.
Ma position était intenable, je devenais dingue.
Sur un coup de tête je me suis barré avec la gamine.
C’était une grave erreur je l’ai tout de suite compris, mais une fois passé le portail de la propriété il était trop tard, je devais agir très vite et ne pouvais plus faire demi-tour, il y avait des caméras de surveillance partout.
En plus je n’avais pas préparé mon évasion.
Où aller avec une enfant de quelques mois ?
J’étais parti au milieu de la nuit sans rien prendre pour la changer ou la nourrir, de toute façon je ne savais faire ni l’un, ni l’autre.
La seule personne à qui j’ai pensé pour me sauver c’était ma mère.
Une mère est censée céder à l’appel du sang.
C’était mal la connaître.
Je sonnais chez elle, il devait être trois heures du matin. D’accord c’est pas une heure pour débarquer chez les gens, mais ce n’était pas n’importe qui, c’était pas le facteur ou la concierge.
Elle a ouvert la porte, ensommeillée.
Quand elle m’a vu avec la petite dans les bras, elle m’a demandé à qui je l’avais volée.
− Je ne l’ai pas volée maman, c’est ma fille Ambre.
− Tu n’as pas pris la peine de m’envoyer de faire part.
− C’est vrai, mais les évènements se sont un peu Précipités.
− Les choses ont bien changé dis-donc, il ne faut plus neuf mois pour faire un môme ? On n’arrête pas le progrès. Bon puisque tu as décidé de me prendre pour une abrutie, va voir ailleurs si j’y suis.
Elle a refermé la porte, je me suis retrouvé à hurler dans le couloir.
Ma fille a pris le relais, elle avait peur ou faim, je ne savais pas.
J’ai entendu les voisins commencer à râler, j’ai vu le moment où j’allais me faire embarquer par les poulets, alors je me suis tiré avec la petite sur les bras.
J’étais clairement dans la merde.
Au sens propre et figuré, si vous voyez ce que je veux dire.
À jeudi 😉 CS