Deuxième  épisode de la série.

Joseph a commencé à se présenter à nous dans sa vie carcérale.

Sa relation compliquée avec sa mère, ses petits méfaits.

Bonne lecture 🙂

Mais reprenons les évènements depuis le début, je vous sens un peu perdue.

Vers l’âge de seize ans lorsque je suis entré avec enthousiasme dans cette école de compta chaudement recommandée par ma mère, j’ai rencontré Sylvain qui était toujours partant pour toutes les conneries imaginables et Dieu sait que pour cela nous n’en manquions pas, d’imagination.

À l’époque, la grande mode était aux chaussettes de la marque Burlington, il y avait des présentoirs entiers aux Galeries Lafayette de Bayonne, qui était notre endroit de prédilection.

Nous venions avec de grands sacs en toile, dans lesquels sans aucune vergogne, nous déversions la totalité des paires de chaussettes présentées, avec une assurance telle que personne ne trouvait à y redire, chacun pensant sans doute que nous étions chargés de cette besogne pour le compte du stand dans lequel les chaussettes trônaient.

Nous ressortions tranquillement du magasin qui n’était pas encore muni de détecteurs d’antivol.

C’était le bon temps.

Nous revendions ensuite ces paires de chaussettes à bas prix à tous les lycéens trop heureux de l’aubaine.

Notre petite entreprise vivait des jours heureux, elle progressait tranquillement et nous en profitions comme deux pachas, car les rayons ne désemplissaient pas de marchandise à voler et notre réputation de fournisseurs d’objets de luxe à prix modique s’intensifiait.

Nous avions nous aussi des goûts de luxe.

Nous prenions des habitudes dans les restaurants chics du coin, enfin pas des trois étoiles non plus, mais autre chose en tout cas que la cantine du lycée. Je n’ai jamais supporté les cantines, c’est vous dire comme je suis heureux ici, j’en serais presque à regretter celle que je fréquentais à peine à cette époque révolue.

La première fois que nous pénétrions dans un de ces restos, on nous regardait d’un air soupçonneux, mais l’argent arrange tout et à notre deuxième visite nous étions déjà considérés comme de vieux habitués. Il faut dire que nous bénéficiions de cette bienveillance grâce à des pourboires généreux.

L’apparence de la jeunesse nécessite quelques compensations si l’on veut être crédible.

Sylvain était entré dans cette école pour des raisons nettement plus obscures que les miennes.

Il était fils de bonne famille et ses parents le destinaient à prendre la suite de son père, au poste de chef comptable d’une grande entreprise. J’étais étonné d’apprendre qu’il s’agissait d’une charge que l’on se refilait de père en fils, au même titre que celle d’un notaire.

Je n’avais pas lu grand-chose des classiques, mais cette situation me faisait sacrément penser aux héros de Balzac, le seul auteur qui avait croisé mon chemin.

Mon ami Sylvain ne semblait pas s’en offusquer, un métier en valant un autre.

Il supposait que l’adrénaline produite au cours de nos expéditions, compenserait l’ennui d’un emploi d’obscur bureaucrate. Pour autant que j’en sache, car finalement nous ne parlions pas beaucoup de nos vies privées.

Nos conversations portaient quasiment exclusivement sur nos prochaines “affaires”, c’est ainsi que nous désignions nos virées dans les boutiques.

Nous préparions nos coups en vrais professionnels, comme si nous nous apprêtions à dévaliser une banque bourrée de caméras et autres détecteurs de présence humaine.

Nous ne laissions rien au hasard.

Il s’agissait pour nous d’un jeu grandeur nature.

Nous avons sévi ensemble jusqu’à l’âge de vingt ans, la fin de nos études, ensuite nous nous sommes perdus de vue, je savais que Sylvain continuait dans la même voie.

Au grand désespoir de ses parents il n’avait finalement pas repris la charge paternelle.

Ils ignoraient tout de ses activités et ne comprenaient pas comment il survivait, jusqu’au jour où il se fit prendre en train de revendre à des malfrats de la marchandise audiovisuelle “tombée d’un camion”, il s’était fait piéger.

Il écopa de six ans de prison fermes, la police ayant fait le rapprochement entre tous ses faits d’armes.

Je ne fus pas inquiété, il ne me donna pas.

Sa mère ne se remit pas de cette “révélation” et mourut peu de temps après l’incarcération de son fils chéri.

Quand j’appris qu’il s’était fait choper, par fidélité de bandit, j’allais le voir une ou deux fois.

Mais il préféra que je ne revienne pas. Me voir lui rappelait que j’étais dehors, il craignait de ne pas résister à la tentation de me balancer, par dépit.

Je cessais donc mes visites, à mon grand soulagement.

Je ne supporte pas les prisons.

Oui je sais, mais figurez-vous que personne ne m’a demandé mon avis !

J’aimais bien Sylvain, mais pas au point de me sacrifier.

Cela dit je n’ai jamais aimé personne au point de me sacrifier. Quand j’aurais aimé le faire, je n’en ai pas eu le temps.

Ma mère vouait une haine féroce à mon père.

Je l’appris au lendemain de sa mort, par une tante dont je n’avais jamais entendu parler.

Au moment où ma mère rendit son dernier soupir, elle soupirait beaucoup, surtout après moi, enfin bref, je compris que je ne l’aimais pas, que je ne l’avais jamais aimée.

À vrai dire lorsqu’elle était vivante, je ne m’étais pas posé la question. Petit je craignais ses baffes, en grandissant leur fréquence ralentit, à un rythme inversement proportionnel au développement de ma masse musculaire.

Je faisais de la musculation à l’époque de ma collaboration avec Sylvain, pour me défendre, non pas de ma mère je ne l’aurais jamais frappée, contrairement à elle.

Non je cherchais à me défendre de l’attaque d’éventuels voyous, nous commencions à avoir une certaine réputation Sylvain et moi, nous faisions des envieux.

Ma mère m’avait donné la vie, de cela je lui étais reconnaissant, mais je considérais qu’elle n’aurait pas dû me priver de mon père, car si j’avais eu son soutien, je n’en serais pas là aujourd’hui.

Enfin ça bien sûr, ce n’est pas ce que j’ai pensé sur le moment, puisque je ne savais pas encore où j’en serais aujourd’hui.

Vous me suivez ?

Bon enfin bref, je n’aimais pas ma mère, voilà !

Est-ce un crime ?

Non ça n’en est pas un, j’en ai commis depuis, mais ça n’en est pas un, j’en suis sûr.

Déjà dans la cour de l’école primaire, je ressentais ce vide,  les autres ne rataient pas une occasion de se moquer de moi.

J’étais le seul demi-orphelin.

La période de la fête des Pères était un calvaire. Ils défilaient devant moi, me demandaient à qui j’allais offrir le magnifique porte-rouleau de papier cul, que nous fabriquions en classe.

L’administration scolaire n’avait pas le loisir de s’occuper du seul, issu de monoparental de l’école, à l’époque il n’y avait pas autant de divorces que maintenant.

L’institutrice chaque année me disait gentiment que cela pourrait aussi bien servir à ma maman.

Sauf une peau de vache qui une année m’avait expliqué devant toute la classe, que je serais dispensé de fabrication de cadeau. Ce qui provoqua en moi une joie de courte durée, car elle ajouta aussitôt qu’à la place je copierai :

“je n’ai pas de père, car je ne le mérite pas” cela pendant que les autres fabriqueraient le cadeau.

Ma mère en faisant mon cartable découvrit les feuilles de copie.

Elle entra dans une rage folle, qui me ficha la trouille d’ailleurs. Je craignais de m’en prendre une au passage.

Elle débarqua comme une furie dans le bureau du directeur de l’école, qui affolé lui répondit qu’il n’avait aucun pouvoir sur les institutrices et qu’en plus, il valait mieux faire profil bas, si elle ne voulait pas que je devienne le souffre-douleur de toute la classe.

Ce à quoi ma mère lui répondit qu’elle supposait, étant donné le document à charge, que le mal était déjà fait.

Je changeais d’école l’année suivante.

Enfin bref, elle était comme ça ma mère et malgré ses efforts, je ne l’aimais pas.

Elle n’était pas méchante, même si elle avait la main leste.

Elle ne me gratifiait jamais de gestes ou de mots d’amour certes, mais pas non plus de haine.

Elle la réservait à mon père dont elle disait pis que pendre.

Un jour j’osais lui dire que j’en avais marre de l’entendre délirer sur mon père et que, puisqu’elle n’avait pas jugé utile de me le présenter, j’en avais rien à foutre.

J’aurais dû attendre d’avoir commencé à faire des exercices de muscu, car je me pris la plus magistrale de ses baffes, une baffe d’anthologie et celle-là je ne la vis pas venir car elle ne la fit pas précéder de la rituelle question. Elle m’envoya valdinguer sur le mur du salon, je vis trente-six étoiles.

J’étais tellement furieux et vexé que j’osais lui dire ce que je pensais de sa manie.

Sans le moindre soupçon de remords sa réponse fusa :

Recommence et la prochaine fois tu verras la lune.

Je ne m’y aventurais plus.

Sa mort m’apporta l’ouverture tant attendue, grâce à la tante sortie de nulle part.

Mon père avait un nom, une adresse.

Il avait surtout une fortune colossale.

Une précision pour être tout à fait honnête, si j’ose dire, je suis amoral.

Pas immoral, ne pas confondre.

Je vous explique, pour qu’il n’y ait aucun coin d’ombre entre nous.

Quelqu’un d’immoral est une personne qui a une morale, mais qui ne la suit pas.

Je vous donne un exemple : un communiste qui prône le partage des richesses, mais qui préfère partager sa richesse avec lui-même.

Vous voyez de quoi je veux parler ?

Très bien !

Quelqu’un d’amoral n’a pas de morale, il ne trahit pas sa morale puisqu’il n’en a pas.

Je ne prétends pas que l’amoralité est meilleure que l’immoralité, à vrai dire je n’ai pas choisi, je suis amoral c’est tout.

Lorsque j’appris en plein deuil, que j’avais finalement un père, et riche qui plus est, je me renseignais, vous pensez bien.

Quelle ne fut pas ma surprise en apprenant que le brave homme avait femme et enfants et entre autres une fille exactement du même âge que moi.

Pour ainsi dire une jumelle.

Vous voyez le topo ?

Ben oui une demi-sœur.

Apprendre à vingt-cinq ans qu’on a une demi-sœur du même âge, ce n’est pas banal, ça fait un choc.

Quand je vis sa photo sur internet, mon sang ne fit qu’un tour.

La belle était magnifique.

Sans me vanter je ne suis pas mal de ma personne.

Vous êtes d’accord ?

Ah, les années de prison ne me vont pas très bien au teint, mais j’ai de beaux restes.

J’ai la chance d’avoir gardé mes cheveux bruns.

Quant à mes yeux bleus qui en ont fait chavirer plus d’une, seule la cataracte aura raison d’eux.

En tout cas à l’époque je me défendais plutôt bien.

Mon apparence physique me permit de détourner pas mal de fonds, mon bagout également.

Ça, je savais parler c’est vrai, je faisais avaler des couleuvres à n’importe qui, j’étais capable de parler le rupin sans problème, maintenant je me suis un peu relâché question langage, mais à l’époque j’étais très convaincant, je pouvais aller dans les cocktails, personne ne trouvait rien à y redire.

J’aurais été très bon dans le commerce, mais j’étais destiné à autre chose, une autre dimension et surtout à un autre niveau de vie.

Donc la demoiselle était magnifique et j’éprouvais une drôle d’excitation à l’idée de séduire ma demi-sœur.

Je vous l’ai dit j’étais amoral, doué et aidé par mon physique avantageux. Je pensais la séduire avec facilité.

Ne faites pas cette tête c’est vexant, j’ai l’impression que je vous dégoute. Vous êtes choquée ?

Non ?

Bon, tant mieux.

Vous êtes charmante vous-même.

Ok j’arrête, je n’ai plus l’âge de toute façon.

À jeudi 😉 CS

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