LA MÈRE
Si je suis dans cet état aujourd’hui, c’est parce qu’elle a essayé de me tuer dans un accès de rage.

Charles était décédé quelques mois auparavant, j’étais très affectée par cette perte, anéantie par le chagrin.
Ma fille est comme ces chiens de garde qui, lorsque qu’ils sentent leur maitre affaibli, les attaquent.
Suzie est de cette trempe.

Ce jour-là elle essaya de m’extorquer des fonds et comme je résistais, elle devint hystérique comme aux pires crises de son enfance.
Elle menaça de me tuer si je n’obtempérais pas et joignant le geste à la parole elle resserra ses doigts autour de mon cou.
Mon mari n’était plus là pour me défendre, mon cœur déjà lourd de ce chagrin, ne supporta pas cette agression de la part de ma propre fille.
Lorsqu’elle comprit mon état, affolée par l’acte qu’elle venait de commettre, elle appela les secours, trop tard, le mal était fait, je restais paralyseé.

Même si je le pouvais, je ne dirais rien, bien fait pour moi !

Je fais aujourd’hui mon Mea Culpa.
Je n’ai plus que Vous, j’avoue n’avoir jamais cru en Vous, mais si Vous sauvez mon fils,
je Vous promets de Vous vénérer jusqu’à mon jour dernier.
Je Vous promets de prier pour Vous chaque jour, jusqu’au dernier.
Je ne Vous décevrai pas.
C’est finalement la première fois que je m’adresse à Vous et je ne vais pas être hypocrite, j’attends un signe, le signe ultime.

Sauvez mon fils !
Je Vous en supplie !
Cela prouvera à quel point ma vie n’a eu aucun sens.
Protéger ma fille toute sa vie, contre toute raison, contre toute morale, pour finalement la condamner.

Vous avez devant Vous la pècheresse la plus misérable et la plus malheureuse.
Devoir choisir entre mes enfants.
Lequel doit vivre ?

Quelle mère peut endurer cela à moins d’être dénaturée.
Il faut croire que je ne le suis pas totalement, car je voudrais mourir.
Si Vous êtes le Dieu miséricordieux dont on m’a parlé au catéchisme, libérez-moi, je n’en peux plus.
Ma souffrance est ma sentence.
Peut-être estimerez-Vous dans Votre infinie bonté que j’ai suffisamment souffert sur cette terre.

LE FILS

– Maman ?

Patrick ! Merci ! Merci mon Dieu !

– Maman, c’est moi, Patrick, réveille-toi.
Ton cauchemar est fini.

Mon fils a tué ma fille, ça ne fait aucun doute, je m’en veux tellement, elle est morte et il est condamné.

– Elle était comme folle lorsqu’elle m’a vu.
Elle a commencé à m’envoyer tout ce qu’elle trouvait à la figure.
Tu aurais vu sa chambre, maman, elle avait tout détruit. Une folle hystérique.
J’avoue que j’ai été impressionné par l’étendue des dégâts.

Je voulais qu’elle comprenne ce que j’avais fait, qu’elle sache que je l’avais roulée dans la farine.
Qu’elle se sente minable, plus bas que terre.

Je voulais absolument tout lui révéler, par le menu, qu’elle goûte bien chaque phrase, chaque détail de sa déchéance.
Qu’elle réalise à quel point elle a été stupide et prétentieuse d’avoir cru un seul instant à cette histoire abracadabrante,
un homme assez fou pour vouloir l’épouser.
Qu’est-ce qu’elle croyait cette folle ?
Elle pensait vraiment que j’allais rester sans rien dire, à la regarder te détruire ?
Comment peut-on être aveuglé à ce point par sa suffisance ?

Parce que finalement, à part vivre à vos crochets, qu’est-ce qu’elle a fait dans sa vie ?
Rien !

Tu sais comme ta fille peut être exaspérante lorsqu’elle se met à hurler et gesticuler dans tous les sens.
J’ai été obligé de l’attacher à une chaise la seule encore debout, avec son drap, pour qu’elle cesse de s’agiter.
Elle me donnait le tournis et comme elle continuait à m’injurier, je lui ai mis un chiffon dans la bouche.
Elle a réussi à me mordre, mais ce n’est pas grave, je suppose qu’elle n’est pas enragée.
Enfin j’espère.

En tout cas je lui ai tout raconté en attendant les services sociaux et j’avoue que j’ai pris un certain plaisir à la voir cesser de se débattre au fur et à mesure de mon récit et ouvrir des yeux ronds ou lancer des éclairs de haine.

Je lui ai porté l’estocade lorsque je lui ai parlé d’Adam.
J’ai même vu quelques larmes qui cette fois n’étaient pas de rage.
Elle y a cru à sa grande histoire d’amour, bâtie sur la trahison ne l’oublie pas.

Lorsqu’elles sont arrivées, les assistantes sociales ont regardé la pièce d’un air incertain.
Je leur ai expliqué qu’elle avait fait tout ça comme une grande et que j’avais été obligé de l’attacher pour la calmer.
Si elles avaient des doutes, je pense qu’elles n’en ont plus eu lorsqu’elles l’ont libérée, car elle s’est ruée sur elles et a failli leur arracher les yeux, tout en recommençant à m’invectiver.
Heureusement elles étaient accompagnées de vigiles qui l’ont contenue, mais à grand peine et l’ont emmenée dans leur ambulance.
S’ils avaient eu en leur possession une seringue hypodermique comme pour les grands fauves, je pense qu’ils l’auraient utilisée.
Ils avaient l’air affolé et pourtant ils doivent en voir.

Je sais que tout cela te fait beaucoup de peine, mais parfois il faut sauver ceux que l’on aime malgré eux
et moi je t’aime maman, mais je t’aime vraiment, sans rien attendre en retour.

Tu n’es pas responsable, je te supplie de t’ôter cela de l’esprit, tu es une maman merveilleuse,
je ne sais pas pourquoi ta fille est ainsi, mais ce n’est pas de ta faute crois-moi !

Je veux que tu viennes avec moi, pour que je prenne enfin soin de toi.

LA MÈRE

Maintenant mon Dieu, je peux mourir.

Mon fils est sauvé, ma pauvre fille est perdue à jamais, mais cela n’est-il pas déjà le cas depuis longtemps ?

Ma vie est une suite d’échecs.
J’ai été une mère incapable d’élever correctement ses enfants.
Ils auraient aussi bien pu s’entretuer.

Je suis entièrement responsable, par négligence, par peur, par lâcheté.

Si Vous estimez que je ne mérite pas de mourir, je me rendrai à Votre jugement.

Je continuerai de souffrir en silence, cela peut durer longtemps, je ne suis pas si vieille après tout.

C’est Vous qui décidez !

Je suis foutue ! Destinée à finir ma vie chez les fous.

Mais je ne suis pas folle, mon frère a tout manigancé.

Il me hait depuis le jour de sa naissance .

Florence où es-tu ? Je voudrais tant te rejoindre, tu es la seule à m’avoir comprise,

la seule qui m’ait aimée.

Mais je sortirai de cet enfer, j’en fais le serment, je vais tous les mettre à ma merci.

Tous ces médecins me mangeront dans la main, ce ne sera pas la première fois, ha ha ha ha.
Je reviendrai maman, je reviendrai te sauver, te sortir des griffes de ce salaud !

Tremble ! Toi qui te crois si fort, tellement innocent, alors que tu ne vaux pas mieux que moi.

Je suis une grande artiste, je vais révolutionner l’art, du fond de mon asile.

Je passerai les murs et les portes pour me faire entendre, attendez-moi !

J’arrive !

FIN

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